L'incubateur est souvent la bonne réponse pour capter l'innovation en dehors de l'entreprise

Accélérateurs, incubateurs, quelles différences ?

En France, la situation était simple il y a encore quelques années : il y avait des incubateurs et puis c’est tout ! Certains régions n’en avaient même qu’un seul, le plus souvent lié à la recherche académique et dûment estampillé par l’État. C’était l’époque des « Incubateurs Allègre », du nom de l’ancien ministre chasseur de pachyderme. Une époque dont nous avons déjà parlé dans les Cahiers, pendant laquelle même des personnes de bonne foi croyaient que l’innovation venait de la recherche. Une théorie du « ruissellement » à peu près aussi valable que celle de M. Trump en économie qui veut que les baisses d’impôts sur les super riches finissent par profiter aux plus pauvres. Quelle est la situation aujourd’hui ? L’hystérie startup est passée par là et certains sites recensent plus de 1000 incubateurs en France ! Quelles différences entre accélérateurs et incubateurs ? Avec quel partenariat ou quelle concurrence entre le public et le privé ?

L’essor difficile des accélérateurs

Les ouvrages, études et livres blancs sur l’incubation commencent à être très nombreux et nous permettent de dresser un portrait robot assez précis de ce que sont les incubateurs ou accélérateurs, même si quelques ambiguïtés persistent. Pourquoi des accélérateurs ? Il faut revenir aux résultats de la politique d’incubation menées depuis le début des années 2000. Le constat dressé est malheureusement très décevant : le nombre d’emplois directs créés dans les entreprises issues des incubateurs n’est que de quatre environ. Quatre : c’est le nombre d’emplois créés en moyenne dans les entreprises incubées …Certes souvent des emplois qualifiés, à haute valeur ajoutée, dans des entreprises générant de nombreux contrats de partenariats ou de recherche, mais enfin quatre emplois seulement. Et un simple rapport entre l’argent public ou privé investi dans le fonctionnement de l’incubateur ou le soutien au projet et l’emploi généré peut doucher les ardeurs de nos investisseurs ou de nos élus les plus motivés.

De la bureaucratie à la bureaupathologie ?
De la bureaucratie à la bureaupathologie ?

Sans tomber dans le french bashing inconsidéré, force est de constater que notre pays a culturellement et structurellement parfois un peu de mal à être aussi efficace que certains pays anglo-saxons quand il s’agit de créer du business, de faire des affaires. Les raisons en ont souvent été évoquées dans les Cahiers : manque de « pragmatisme », aversion au risque et, corollaire, stigmatisation de l’échec, rapport complexé à l’argent, technostructure et réflexes de castes et de corps, … tout cela est connu et change peu à peu, à mesure que la mondialisation atteint les esprits et les mentalités après les marchandises. Mais les traits qui caractérisent la France sont encore très présents : veut-on par exemple inciter les étudiants à créer leur entreprise ? La réponse est de créer un « statut spécial », comme si la reconnaissance d’une case dans laquelle mettre enfin cet étudiant atypique restaurait un ordre bureaucratique mis à mal.

Nos réflexes bureaucratiques et la méconnaissance par les administrations du fonctionnement d’une entreprise ont abouti à créer des incubateurs qui ne devaient s’occuper des projets que jusqu’à la création de l’entreprise. Une fois créée, l’entreprise était sensée de développer sans aide. Forcément, elle était « passée par un incubateur », elle était innovante et ne pouvait donc que réussir son développement toute seule. Je rappelle que les premiers incubateurs évoluaient dans un milieu très académique et cela a impliqué un certain mépris de la complexité des activités d’un chef d’entreprise (« tout ça, c’est juste vendre des trucs, c’est pas bien compliqué »). De plus, il fallait compter avec une perception dichotomique très française : « les petites entreprises, c’est l’initiative, la liberté et la prise de risque : c’est bien. Les grandes entreprises, c’est l’exploitation, le grand capital et les rémunérations indécentes, c’est mal ».

Des accélérateurs pour gagner de l’argent

La situation était donc claire en France : les incubateurs accompagnaient les entrepreneurs jusqu’à la création de leur entreprise innovante. Après il n’y avait rien. Aux États-Unis et dans le reste du monde anglo-saxon, il n’y a jamais eu ce fétichisme de l’acte de création de l’entreprise (le « dépôt des statuts »). Ils n’ont pas notre vision découpée de la vie d’un projet d’entreprise et ce qui compte, c’est que l’entreprise créée se développe, c’est son chiffre d’affaire, le « business » généré. Les « incubateurs » américains ne sont donc jamais interdit d’accompagner des startups après le dépôt de leurs statuts et certains de ces « incubateurs » n’ont d’ailleurs jamais fait que ça, laissant de côté la première phase, la plus risquée, sur laquelle se sont concentrés nos incubateurs.

L'hystérie start-up
L’hystérie start-up

La phase d’incubation à la française (l’accompagnement avant la création de l’entreprise) est structurellement déficitaire. Aucun moyen de gagner de l’argent ou même de récupérer une partie des sommes investies, à part la facturation de loyers ou de prestations, forcément au-dessous du prix du marché. Le financement traditionnel des incubateurs était donc public, les investisseurs ou entreprises privées n’intervenant qu’après la création de l’entreprise. La situation budgétaire des financeurs traditionnels (État, collectivités, universités, …) bat progressivement en brèche ce fonctionnement et, de plus en plus, les financements privés sont recherchés dans le modèle économique des incubateurs, à mesure que leurs missions s’étendent à l’accélération, c’est-à-dire à l’accompagnement post-création. De l’autre côté, les grandes entreprises et les investisseurs -motivés il est vrai par des incitations fiscales démesurées- ont fini par comprendre l’intérêt qu’il y avait à prendre des risques et à investir dans les startups.

Les accélérateurs sont donc là pour gagner de l’argent et investir avec profit dans des entreprises qu’ils pourront rapidement valoriser. Certains de ces accélérateurs incluent une dimension d’accompagnement avant création qui se rapproche du modèle standard de l’incubation (même si les rythmes sont très rapides et la sélection drastique). Les modèles d’incubation et d’accélération changent donc en profondeur et la place du financement public est réinterrogé.

On commence à y voir clair

Cela fait longtemps maintenant que les pouvoirs publics veulent promouvoir l’entrepreneuriat (pas forcément uniquement mais quand même principalement la création d’entreprise). En Hauts-de-France, le taux de pérennité à 3 ans des startups incubées est de presque 90%, contre 50 ou 60% pour les autres entreprises.Nous avons tous des exemples en tête de startups à succès qui ont réussi sans avoir été accompagnées par un incubateur. C’est parfois frustrant et les esprits chagrins en tirent même parfois des conclusions déplaisantes sur l’intérêt de l’incubation. Malgré cela, les incubateurs se sont progressivement imposés comme un des outils majeurs du soutien au développement économique par la création d’entreprises innovantes. Pas une technopole ou un parc ambitieux qui ne dispose de son incubateur.

Les incubateurs ont maintenant une longue histoire mais, si les accélérateurs sont plus récents, ils sont déjà nombreux. Les définitions sont nombreuses et parfois contradictoires, selon que l’on se rattache par exemple à un background anglo-saxon ou français. Les deux notions ne sont pas toujours clairement distinguées :

  • L’International Business Innovation Association (InBIA) définit par exemple les incubateurs comme des processus de soutien aux entreprises qui accélèrent le développement réussi des start-up et des jeunes entreprises en fournissant aux entrepreneurs une gamme de ressources et de services ciblés. Si l’on s’en tient à cette définition, on est proche de ce que peut être un accélérateur.
  • Cohen et Hochberg, les collaborateurs du projet Seed Accelerator Ranking, définissent pour leur part un accélérateur comme un programme à durée déterminée, fonctionnement par promotions, incluant des éléments de mentorat et d’éducation et qui culmine avec un événement public de terrain ou une démonstration. Si l’on s’en tient à cette définition, on est proche de ce que peut proposer un incubateur.

Voilà comment la définition que j’avais proposée pour les incubateurs des Hauts-de-France : « les incubateurs soutiennent la création d’entreprises innovantes. Ils permettent aux créateurs de passer du stade de l’idée à la maturation puis à la concrétisation de leur projet. Ils offrent à ces derniers un appui en matière de formation, de conseil, d’élaboration du modèle économique, de recherche de financements et de connexion avec les partenaires scientifiques. Ils sont souvent situés géographiquement dans, ou à proximité d’un site scientifique afin de maintenir des relations étroites avec les laboratoires de recherche ». J’étais donc resté sur l’horizon temporel classique de l’incubateur : de l’idée jusqu’à la création de l’entreprise. Mais, de plus en plus, considérer que l’incubateur s’occupe des entreprises avant leur création et l’accélérateur après est une distinction trop simple, qui ne rend pas compte des recouvrements de ces deux types de structures.

Quelles sont donc les caractéristiques que l’on retrouve communément dans un accélérateur ?

  • Organisation
    • Statut juridique: en général à but lucratif
    • Gestionnaire: principalement des entrepreneurs ou des investisseurs
    • Objectif: le retour sur investissement
    • But: validation rapide des entreprises accompagnées
    • Durée du programme: 3-4 mois
    • Échelle de recrutement des projets: régional, national, mondial
  • Services proposés
    • Mentorat
    • Assistance technique
    • Éducation
  • Offre de financement
    • Financement de démarrage
    • Participation au capital (contre de l’argent en cash ou en contrepartie de l’accompagnement)
    • Fonds privés
  • Mise en réseau
    • Mise en réseau avec les investisseurs
    • Mise en réseau avec les clients
    • Pitches réguliers et « terminal »
    • Réseautage divers (réseaux de chefs d’entreprises, d’anciens élèves, …)

On le voit, certains de ces services sont également offerts par les incubateurs.

Des modèles économiques différents

Beaucoup de services offerts par les incubateurs et les accélérateurs sont donc les mêmes. Pour faire la distinction entre les deux, il est alors utile de regarder leur modèle économique. Et pour comparer un modèle économique, pas d’autre choix pour être compris que d’aller chercher le Business Model Canvas.

Modèle économique comparé des incubateurs et des accélérateurs>
En bleu : spécifique aux incubateurs
En rouge : pour les accélérateurs
En noir : pour les deux types de structure
PartenariatsActivités cléProposition de valeurRelation client(Segments de ) clients
Universités
Gouvernements
Collectivités


Investisseurs privés
Business Angels
Assistance technique
Mentoring / coaching
Soutiens financiers (financement d'études ou de prototypes par exemple)
Maturation de l'idée

Validation rapide et croissance
Levées de fonds
Proximité avec le porteur, sur la durée

Personnel dédié
Assistance régulière

Communauté d'entrepreneurs, promotions
Entrepreneurs
Startups
Entreprises
Investisseurs
Ressources cléCanaux
Fonds de soutien
Accueil physique (bureaux, ...)


Investisseurs

Capital d'amorçage
Investisseurs privés
Réseaux de chefs d'entreprises ou d'anciens élèves
Médias sociaux
Écosystème entrepreneurial
Services en ligne / promotion web

Universités
Collectivités
Coûts de structureFlux de revenu
Location
Salaires
Prises de participation
Revenus locatifs
Prestations payantes
Reventes des participations

Comme on peut le voir dans ce BMC, les activités clés des incubateurs et des accélérateurs sont très proches. C’est pourquoi il y a une parfois une confusion sur les définitions de deux phénomènes. Mais si les activités clé sont proches, les propositions de valeur sont assez distinctes.

https://www.lescahiersdelinnovation.com/lecon-comment-representer-un-business-model-part-2/

Au-delà du modèle économique, les principales différences sont par ailleurs rappelées dans le schéma ci-dessous.

Incubateurs et accélérateurs, quelles différences ?
Incubateurs et accélérateurs, quelles différences ?

 

Le sujet est vaste et très actuel. Beaucoup de confusions existent encore et cet article ne suffira pas à les lever. A titre d’exemple, les récents « accélérateurs FrenchTech » labellisés par l’Etat (la France, la France, …) ont donné des accélérateurs une image centrée principalement sur l’apport financier, faisant de ces structures des choses assez proches de fonds d’investissements classiques. Il faudrait donc peut-être intégrer les fonds d’investissements (publics ou privés) dans la réflexion et voir en quoi ils se distinguent des accélérateurs et incubateurs. De la même façon, certains espaces de co-working commencent à développer des prestations qui les rapprochent de ce que propose traditionnellement un incubateur.

J’ai donc forcément oublié beaucoup d’éléments importants dans cet article. Encore plus que d’habitude, ce n’est qu’une ébauche et il devra être complété avec vos remarques et ajouts.

 

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