Trois risques inattendus du CIR (et comment les éviter)

Le Crédit d’Impôt Recherche (CIR), et dans une moindre mesure son pendant relatif à l’innovation (CII), sont des leviers fiscaux extrêmement puissants pour financer la recherche et l’innovation dans les entreprises. Celles-ci ne s’y trompent pas puisqu’elles sont très nombreuses à utiliser ces dispositifs (plus de 20 000), faisant peser sur l’Etat une charge importante de plus de 6 milliards d’euros par an. Malgré les risques inattendus du CIR et les controverses sur ses contributions à la création globale de valeur, ce dispositif est régulièrement sanctuarisé par le législateur, d’une part parce qu’il est très apprécié des sociétés déclarantes, mais aussi parce qu’il commence à trouver un certain équilibre : stabilisation du coût, stabilisation des règles applicables (que ce soit la loi ou la jurisprudence), amélioration des relations entre le contribuable et l’administration fiscale, etc.

Tout semble donc aller pour le mieux. Il ne faut cependant pas oublier comment cet équilibre a été atteint : si les décisions de justice ainsi que les discussions entre divers représentants et l’administration y sont pour beaucoup, le renforcement des procédures de contrôle permettant de limiter un certain nombre d’abus n’y est pas non plus étranger. Les sociétés qui ont su capitaliser sur leurs (mauvaises) expériences de contrôle CIR, ou qui ont pu s’entourer de conseils rompus à l’exercice sont aujourd’hui certainement bien armées pour défendre leurs droits en cas de remise en cause du CIR. Ils n’en est pas de même des nouveaux déclarants ou des sociétés moins bien accompagnées, sur lesquels planent des risques de nature différente. Décrivons trois de ces risques, pas toujours anticipés par les déclarants, ainsi que quelques pistes pour les minimiser.

Le risque sur la trésorerie en cas de lourd redressement

Parmi les risques inattendus du CIR, celui sur la trésorerie est le plus évident. Le délai de prescription du CIR s’étend jusqu’à la fin de la 3ème année suivant celle du dépôt de la déclaration de CIR. Ainsi, fin 2019 seront prescrits les travaux pris en compte pour le calcul du CIR 2015. Ce long délai est source d’instabilité pour le contribuable, d’autant que rares sont les cas où l’administration vient contrôler le CIR tous les ans. Il est donc fréquent de ne pas se faire contrôler pendant plusieurs années, et les vérifications du CIR portent le plus souvent sur 2 ou 3 exercices, parfois 4. Une mauvaise connaissance des règles d’éligibilité ayant entraîné une survalorisation des créances de CIR peut alors avoir des effets très préjudiciables : la contestation dans une large proportion (plus de 50% du montant total) des créances de CIR sur plusieurs années n’est pas un cas rare, et, en fonction de la solidité financière de la société, cela peut entraîner d’importantes difficultés de trésorerie voire des cas encore plus extrêmes, heureusement peu fréquents. L’impact peut de surcroît être aggravé si l’administration fiscale est en mesure de caractériser un manquement délibéré de la part du contribuable voire des manœuvres frauduleuses, entraînant respectivement des pénalités de 40 et 80%. Tous les domaines ne sont pas impactés de la même manière, et nous observons que les projets informatiques (peu importe le domaine d’activité de la société) sont les plus sujets à contestation. Les sociétés de service informatique ou les éditeurs de logiciels sont ainsi en première ligne.

Les voies de recours sont nombreuses, et il n’est pas impossible de faire infléchir la position de l’administration. Cependant il est préférable de mettre en place en amont les bonnes pratiques qui permettront de minimiser ce risque : sélection au plus juste des activités relevant de la R&D, rédaction soignée de la documentation justificative, justification précise du calcul, présence d’indicateurs de R&D (brevets, collaboration scientifique, etc.). Nous ne conseillerons par ailleurs jamais assez d’avoir recours au rescrit (prise de position de l’administration concernant l’éligibilité des projets, en amont de la déclaration), même si cela reste une réponse non complètement satisfaisante. N’oublions pas enfin que la loi donne la possibilité de mettre en place un contrôle sur demande si une société souhaite complètement sécuriser son approche CIR.

Dévalorisation, deal breaker : impacts sur les sociétés technologiques en cours de levée de fonds

Il peut être tentant pour les sociétés en émergence, dont le financement des activités est un combat au quotidien pour le management, de privilégier une interprétation favorable de la loi en vue d’augmenter le montant des créances de CIR. Lors des procédures de vérification qu’un acquéreur réalise en vue d’une acquisition, le contrôle des créances de CIR est de plus en plus fréquent. Les cabinets en charge des due diligences fiscales s’adjoignent ainsi les services d’experts en audit du CIR, ayant une expérience « terrain » des pratiques de contrôle, domaine par domaine. Au-delà des risques relativement « mécaniques » liés au calcul (prestataire de sous-traitance non agréé, charges patronales non éligibles, etc.), il est en effet important de prendre du recul sur les pratiques de l’administration fiscale et du ministère de la recherche en ce qui concerne l’éligibilité des projets, ou le quantum d’heures susceptible d’être accepté pour une activité donnée. En cas de méconnaissance ou d’interprétation assez large des règles d’éligibilité par les sociétés, le risque d’une contestation peut être considéré comme hautement probable, avec des montants parfois très élevés si l’on considère le délai de prescription du CIR (cf. supra).

Les trois risques inattendus du CIR. N'ayez plus peur !
N’ayez plus peur du grand méchant loup bien habillé

L’impact, rarement anticipé par ces sociétés ou par les vendeurs, porte le plus souvent sur la mise en place de garanties visant à sécuriser l’investissement de l’acquéreur. Il est également possible que ce risque identifié modifie à la baisse la valorisation de la société, le CIR pouvant impacter l’EBITDA, un indicateur utilisé fréquemment pour fixer la valeur d’une société. Enfin, si le risque porte sur les déclarations passées, il peut également impacter les projections du CIR sur les exercices futurs. Si les montants de CIR « réels » sont finalement trop éloignés de ceux comptabilisés et de ceux projetés, et en fonction de l’importance de ces créances sur la santé financière de la société, certains investisseurs peuvent même stopper le processus d’acquisition.

Les bonnes pratiques pour minimiser ce risque sont les mêmes que dans le cas exposé précédemment : une méthodologie rigoureuse, notamment dans la sélection des activités et dépenses éligibles, un dossier soigné, multiplier (dans la mesure du possible) le nombre d’indicateurs de R&D ou encore avoir recours au rescrit. Il est surtout important de rester mesuré et de ne pas se laisser tenter par l’appât du gain, avec une vision à trop court terme, qui aura des conséquences non souhaitables à des étapes clés de la croissance de ces sociétés émergentes.


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